La chance, quand tu y es | ft. declan hawk [terminé]

L’ambiance déjà fragile se tendit brusquement lorsque la jeune femme leva devant elle ce qui ressemblait fort à une bombe au poivre. Il comprenait parfaitement le principe, vraiment et il trouvait super qu’elle ait les moyens de se défendre toute seule dans un monde comme le leur. Mais juste pour cet instant, Declan aurait aimé que la jeune femme soit aussi timide et douce qu’elle en avait l’air au premier regard. Pour une fois, l’homme fit de son mieux pour sembler moins impressionnant et parler aussi tranquillement que possible. Il manquait probablement quelques explications importantes dans ce qu’il grommela pour expliquer sa présence, mais après de longues minutes de tension, la jeune femme accepta de perdre de sa posture défensive et l’objet dans sa main regarda vite vers le sol. Les épaules de Declan s’affaissèrent légèrement quand il expira, soulagé. Elle n’était toujours pas tout à fait enjouée quand elle s’adressa à lui, mais compte tenu de la situation, il ne lui en tenait pas vraiment rigueur. “Euh… Oui, je l’ai vu plusieurs fois…” souffla-t-il, lorsqu’elle s’inquiéta de savoir s’il avait vu son chat. Il n’était pas sûr qu’elle ait réellement entendu sa réponse, s’affairant déjà à faire le tour de l’appartement en ne s’adressant plus qu’à ce fameux chat, supposa-t-il. Et lui n’était pas bien sûr de ce qu’il aurait dû faire maintenant. Partir ? L’installation des nouvelles fenêtres n’était pas encore terminée, loin de là et il se voyait mal laisser les choses en l’état pour revenir plus tard, mais…

Quelques minutes s’écoulèrent sans que l’homme ne bouge d’un millimètre. Planté près de la fenêtre du salon, il attendit simplement que la locataire fasse le tour de son appartement et qu’elle ne revienne s’intéresser à lui, son marteau toujours dans une main et son regard posé vaguement sur la porte. La situation était quelque peu gênante, honnêtement et il commençait à maudire sérieusement le type l’ayant fait entrer ici. Était-ce au moins légal d’entrer dans un appartement loué sans prévenir le locataire avant ? Et bien sûr, le propriétaire devait s’être déjà tiré depuis longtemps, laissant Declan gérer seul une situation qui n’aurait même pas dû exister. Le malaise déjà palpable s’intensifia lorsque la jeune femme revint enfin, son chat dans les bras. Elle n’était plus aussi glaciale, cette fois, mais il s’échauffait légèrement aussi. “Je pensais que vous étiez au courant,” lança-t-il avec précautions, “sans quoi j’aurais refusé d’entrer.” Il ne s’était pas exactement penché sur la question, à vrai dire, tant ça lui semblait improbable qu’on agisse de cette manière. ”Je peux partir, si vous voulez.” offrit-il finalement. ”Et venir terminer à un moment qui vous conviendra mieux.”  Il ne trouvait pas très malin de laisser cette femme avec des fenêtres mal installées pour ne serait-ce qu’une nuit, mais pour l’instant, il lui semblait important qu’elle sache qu’il ne comptait pas l’embêter aussi, comme le propriétaire semblait vouloir le faire. Plus il entendait parler de ce type, moins il l’appréciait et plus ça lui démangeait d’aller lui expliquer sa façon de voir le monde. Pas sûr qu’il apprécie réellement cette conversation. ”Les fenêtres sont encore démontées, mais j’peux vous aider à les barricader pour la nuit et revenir quand vous aurez le temps de gérer ça, vraiment.” répéta-t-il, plus doucement. ”Vous devriez pas vous laisser faire par ce type.” ajouta-t-il en fronçant les sourcils. Facile à dire, sans doute, mais vraiment… Secouer un peu cet homme ne serait certainement pas une mauvaise idée.

Hors de question ? Un instant, Declan eut beaucoup de mal à décider si elle le disputait encore ou si elle baissait simplement les bras. Il cligna des yeux une fois ou deux le temps qu’elle jette un coup d’oeil à son téléphone portable. Cette fille ne lui était pas totalement antipathique, loin de là, mais en l’espace de ces quelques minutes seulement depuis qu’elle était entrée, il décida qu’elle était aussi un vrai mystère. Il se détendit quand même un peu plus quand elle accepta d’ajouter quelques mots, reconnaissant que cette situation n’était pas sa faute. Et lui accordant au passage de terminer son travail puisqu’il avait déjà commencé. Il hocha la tête et se racla rapidement la gorge. “Ok.” Il était et resterait un homme de peu de mots et rien que celui-là semblait lui avoir été arraché de force, dans le seul but de ne pas laisser peser un silence toujours un peu gênant. Et malgré l’accord que venait de lui donner la locataire, il resta planté sur place sans bouger jusqu’à ce qu’elle ne soit la première à s’éloigner, pour aller vivre sa vie de son côté, de toute évidence.

Dès qu’elle fut éloignée, Declan retourna à ses affaires aussi, bien décidé à ce que les travaux soient terminés rapidement pour qu’il puisse la laisser en paix. Mais il eut tout just le temps de s’approcher, en réalité, que la voix de la rouquine s’éleva de nouveau et ne manqua pas d’attirer son attention. Il tourna sur lui-même jusqu’à la retrouver dans son champ de vision, un peu décontenancé par le sens de ses paroles. Peur ? Elle lui fit l’honneur de l’éclairer assez rapidement. Il se mordit les lèvres, fronça les sourcils, mais ne savait pas trop quoi lui répondre. Son hésitation dura quelques secondes. “Mais il n’a pas le droit de vous jeter dehors sans une bonne raison et encore moins d’entrer chez vous sans vous prévenir.” argua-t-il le ton ferme, pas désagréable, mais bien définitif. Hélas, même en ayant la loi de son côté, il devait bien admettre que ça restait délicat d’argumenter avec cet homme. Il trouverait une bonne raison s’il en cherchait une, Declan n’avait aucun doute à ce sujet.

Il pinça les lèvres, sans savoir comment l’aider plus que ça. Il n’était là que pour les travaux, après tout et on dépassait largement son domaine de compétences, là. En parlant de travaux, il fit un nouveau geste pour s’y remettre dès l’instant où la conversation sembla prendre fin, mais la jeune femme ne lui en donna toujours pas l’occasion et cette fois, un sourire échappa enfin à Declan à sa proposition. Vraiment ? Il s’incrustait chez elle et elle trouvait encore le moyen de lui offrir à manger ? L’odeur lui donnait franchement envie de dire oui, mais… “Merci, mais j’veux pas vous faire perdre plus de temps que nécessaire.” refusa-t-il poliment. “Vous êtes trop gentille, vraiment.” ajouta-t-il beaucoup plus bas, presque comme s’il ne voulait pas qu’elle l’entende. “J’vais faire vite et j’serais parti avant que vous ayez le temps de vous lasser de me voir traîner chez vous.”

Il ne voyait pas ce qu’il aurait pu faire de plus que finir son travail et déguerpir à la vitesse de l’éclair. Le malaise commençait à s’apaiser doucement, mais il ne disparaissait jamais totalement non plus et Declan n’avait pas pour habitude de se mettre volontairement dans des situations échappant à son confort. Il n’était pas maniaque du contrôle ou quoi, seulement il n’était pas fait pour la subtilité, la politesse et la bienséance, tout ce qui avait rythmé son enfance et dont il essayait de s’éloigner depuis des années. Calme et simplicité, voilà à quoi il vouait son existence. Alors, il ferait son travail et partirait, en ignorant au mieux l’odeur de nourriture flottant dans l’air et agaçant doucement sa bonne volonté. Elle disparut pour de bon lorsque la jeune femme revint à la charge, insistant pour qu’il accepte son invitation à déjeuner avec elle. Il ne répondit pas tout de suite, s’occupant plutôt d’observer les assiettes qu’elle disposait sur la table, la douceur et la grâce dans ses gestes autant que dans sa voix, le regard qu’elle leva vers lui. La tension était toujours là, lourde et étrange et avant qu’il ne réalise vraiment, un autre “ok” lui échappa d’une voix presque trop basse pour être entendue.

Il resta pourtant sans bouger, son regard presque hypnotisé par la jeune femme qui évoluait avec tant d’assurance pour aller s’installer et continuait de chercher à le convaincre. Un sourire s’imprima sur ses lèvres, ses épaules secouées d’un rire silencieux. Il secoua la tête pour retrouver ses esprits et se décida enfin à s’activer, venant s’asseoir sur la chaise libre. Il était toujours tendu, peut-être même un peu plus désormais qu’il se tenait réellement face à elle. “Declan.” se présenta-t-il de la façon la plus sobre qui soit. Il n’allait pas lui balancer sa biographie complète au visage, de toute façon, pas vrai ? Il était comme ça, silencieux sans être réellement renfermé. On lui faisait la remarque souvent et ça ne le dérangeait pas. Mais là, tout à coup, le silence lui pesait. Il se servit un peu de nourriture dans l’espoir de chasser la tension, mais elle était toujours bien en place quand son assiette fut assez pleine pour ne pas vexer son hôte. Il fallait qu’il parle, il le fallait absolument.

“Vous n’êtes pas originaire de New-York, alors ?” demanda-t-il, regrettant presque aussitôt ses paroles. Ça n’était pas vraiment l’assurance qui transparaissait en ce moment, mais sans doute pourrait-on lui pardonner compte tenu de la situation plutôt inhabituelle dans laquelle ils se trouvaient. “C’est le genre de ville qui fait rêver dans le monde entier, mais la réalité est toujours décevante, pas vrai ? Les loyers sont terrifiants, les propriétaires complètement irrespectueux et on peut rentrer chez soi pour y trouver un parfait inconnu en pleine lutte avec les fenêtres de notre appartement… Ils ne racontent jamais tout ça dans les films.” poursuivit-il malgré tout, comme si de rien n’était, comme s’il pouvait être un humain parfaitement normal. Il y avait même un sourire au coin de ses lèvres, il ne s’en sortait peut-être pas si mal. “D’où est-ce que vous venez ?” demanda-t-il finalement.

Il n’était pas question de clichés ridicules ou d’autres grands moments dramatiques : Declan se sentait toujours assez mal à l’aise quand il croisait de nouvelles personnes. Pas vraiment mal à l’aise, à vrai dire, seulement ça n’était pas sa tasse de thé malgré une certaine assurance dans son quotidien. Il ne mentirait pas en prétendant ne pas s’être senti comme ça depuis des années, que ce moment était spécial et perturbant pour lui, ça lui arrivait sans arrêt. Il passa quelques secondes à chercher quoi dire avant de parvenir à offrir un air assez décontracté pour faire illusion et à lâcher quelques remarques qu’il espérait assez amusantes pour détendre un peu plus l’atmosphère. Le rire par lequel la jeune femme lui répondit fut une sorte de victoire et il s’autorisa à sourire un peu plus franchement et à se relaxer un peu. Il ne devait pas être le seul, puisque Lucy se lança dans un résumé de ce qui l’avait menée jusqu’à New-York, agrandissant peu à peu le sourire de l’homme. Elle parlait beaucoup plus, tout à coup et elle s’en rendit compte après quelques minutes, s’excusant rapidement. ”Aucun soucis, parlez tant que vous voulez.” renvoya-t-il poliment, sans perdre son sourire. Lui parlait peu, mais il n’avait absolument rien contre le fait que d’autres lui parlent des heures. Mais ça n’était certainement pas le genre de chose qu’on faisait lors d’une première rencontre et il eut bientôt droit à des questions à son tour.

”Non,” répondit-il dans un rire. ”De ce que je sais, en tout cas, vous êtes la première ! Mais ça fait à peu près dix-huit ans que je travaille dans le bâtiment.” précisa-t-il tout de même, beaucoup plus enjoué, même s’il restait assez avare en détails pour l’instant. Il s’intéressait davantage à l’inconnue assise devant lui qu’à son propre passé, de toute façon et comptait bien lui poser d’autres questions sur elle et sur cette histoire de macramé qui le surprenait pas mal. Mais avant qu’il en ait l’occasion, la jeune femme attrapa son téléphone portable et resta concentrée dessus quelques secondes avant de lui demander l’autorisation de prendre une photo. Declan fronça les sourcils en posant le regard sur leurs assiettes une seconde. “Euh… Si vous voulez, oui.” souffla-t-il, perplexe. Il n’était pas bien sûr de comprendre l’intérêt d’une telle démarche, mais sans doute avait-elle ses raisons. Il passait suffisamment de temps à surveiller sa soeur de loin pour savoir que c’était le genre de choses que faisaient les gens ces temps-ci : poster des photos de leur nourriture sur les réseaux sociaux. Il évitait de perdre la tête à se demander pourquoi.

Elle confirma que c’était exactement ça quand elle revint s’asseoir et bien qu’il soit toujours un peu décontenancé, Declan ne put retenir un sourire incrédule. ”Vous gagnez de l’argent avec les réseaux sociaux ?” s’enquit-il, sans perdre sa gentillesse malgré la surprise dans sa voix. ”J’suis sans doute un peu trop vieux pour ce genre de truc…” admit-il avec la même sympathie. ”Comment ça fonctionne, exactement ?” Il posait la question avec un réel intérêt, sa curiosité impossible à masquer complètement. ”On vous paie pour poster des photos sur votre profil ? Désolé, j’suis vraiment pas familier de ce genre de trucs… J’ai pourtant un compte instagram, figurez-vous, mais j’m’en sers plus pour m’assurer que ma petite soeur ne fait pas n’importe quoi, je crois bien que j’ai même jamais posté de photos dessus…”

Il n’y avait aucune raison à cela, mais quand la jeune femme lui expliqua comment elle menait une carrière fructueuse sur les réseaux sociaux, Declan se surprit à lui renvoyer un large sourire, amusé sans être moqueur. Ça n’était effectivement pas quelque chose qu’il aurait imaginé de lui-même, mais ça ne manquait pas totalement de sens, même s’il ne comprenait pas bien pourquoi tant de gens voudraient s’intéresser à la vie d’une inconnue venue du Vermont. Non pas qu’il ait un problème avec cet état, simplement, il comprenait déjà mal l’improbable comportement des gens face aux célébrités, alors avoir le même pour une complète inconnue ? Il haussa les épaules à la fin de ses explications. “Si ça vous permet de vivre, pourquoi pas.” souffla-t-il sans jugement. “C’est un métier comme un autre.” assura-t-il dans l’intention de la rassurer, sans trop savoir pourquoi. Si elle arrivait à mener une vie qui lui convenait comme ça, tant mieux pour elle. Et un boulot pour lequel elle n’avait qu’à poster des photos en échange de nourriture gratuite… il trouvait ça génial, honnêtement. “Et puis si on vous offre de la nourriture, c’est forcément un bon métier.” ajouta-t-il d’ailleurs, dans un sourire plein d’humour. Lui n’était juste pas assez à la page pour comprendre ce monde en ligne. Même s’il avait effectivement cette application sur son téléphone et qu’il lui arrivait de passer un peu de temps dessus. Ça avait été une façon de garder un oeil sur Elise quand sa petite soeur, en colère après lui, refusait de lui parler et qu’il avait peur qu’ils se perdent totalement de vue. Il partagea d’ailleurs cette information avec la jeune femme, avant de se rendre compte qu’il passait peut-être pour un genre de psychopathe à agir comme ça, en surveillant sa soeur sur les réseaux sociaux. Il fronça les sourcils à cette idée, cherchant rapidement un moyen de mettre un peu de nuance dans cet aveu étrange, mais à en croire la façon dont la rouquine lui posait des questions sans perdre son sourire, elle ne trouvait peut-être pas ça totalement bizarre ?

“Elle a trente ans.” répondit-il de sa façon habituelle, allant droit au but et restant très simple. C’était malgré tout l’occasion de se racheter un peu de normalité et les autres questions de la jeune femme l’y aidaient d’autant plus. “Je suis né ici, oui. Y a pas grand chose de passionnant, honnêtement. J’ai passé toute mon enfance à New-York et après le lycée, quand tous mes amis sont partis étudier à la fac, moi j’suis allé faire le tour du pays et je suis revenu ici y a de ça dix-huit ans. J’ai trouvé un petit job dans le bâtiment et voilà.” expliqua-t-il avec autant de détails que possible. Il ne se sentait pas encore de lui parler de l’endroit où il avait grandi, de son adoption, ses parents biologiques ou sa famille adoptive. Elle lui semblait vraiment gentille, mais il ne racontait jamais tout ça aux gens qu’il ne connaissait pas et encore moins aux femmes qu’il venait à peine de rencontrer. Ça évitait les déconvenues plus tard et d’avoir des gens intéressés uniquement par l’argent dans son entourage. “Ma soeur n’a pas très bien pris que je parte plusieurs années. Elle était très jeune à l’époque et elle l’a un peu vécu comme un abandon. Elle m’en veut toujours même si je suis de retour depuis tout ce temps, donc à défaut de trouver un moyen de me rapprocher d’elle, j’essaye de garder un oeil sur elle autrement. Je ne suis pas un espèce de malade qui surveille ses proches sur internet, j’vous jure.” se justifia-t-il enfin dans une tentative d’humour plutôt convaincante.

Il sembla revenir brusquement à la réalité en la voyant attraper son manteau pour le passer sur ses épaules et son regard se posa vers l’endroit où aurait dû se trouver la fenêtre. Il avait presque oublié ce qu’il faisait là, l’espèce d’une minute ou deux, accaparé par la conversation et le repas. Il reposa ses baguettes dans son assiette et se redressa pour avoir le dos bien droit. “Vous avez froid.” déclara-t-il, alors qu’il poussait sa chaise en arrière pour avoir la place de se lever. “J’vais finir d’installer la fenêtre avant que vous ne tombiez malade.” Ça n’était pas une question, même s’il commençait à se dire qu’elle ne le laisserait pas s’en sortir si facilement. Mais il était hors de question qu’il parte d’ici sans avoir fini et encore moins qu’il squatte son appartement toute la journée.

Cette fois, la jeune femme n’essaya pas d’empêcher Declan de se remettre au travail et il s’empressa de retourner au salon pour s'exécuter. Il se mit au travail rapidement, reprenant où il s’était arrêté avant qu’elle ne l’invite à manger, et sursauta presque en entendant sa voix s’élever de nouveau près de lui. Il ne se retourna pas pour la regarder, mais écouta avec attention ce qu’elle lui disait à propos de son frère, sans trop comprendre non plus pourquoi son frère et elle ne se parlaient plus. Pas avec les informations qu’elle lui donnait, en tout cas. Il devait y avoir d’autres histoires là-dessous et il eut bien envie de lui poser des questions, mais passa trop de temps à se demander s’il pouvait se le permettre ou non, si bien que lorsqu’il se décida enfin à se tourner vers elle pour l’interroger, elle quittait le canapé et lui annonçait qu’elle allait travailler dans une chambre un peu plus loin. “Ok.” souffla-t-il seulement en hochant la tête. Il l’observa disparaître dans le couloir et derrière la porte avant de retourner à ses affaires.

Il eut besoin d’encore une bonne heure avant d’en avoir terminé avec l’installation de cette fenêtre, mettant sans doute plus de soin à son travail qu’il ne l’avait fait depuis longtemps. Quand il eut terminé et rassemblé toutes ses affaires à une simple caisse qu’il serait facile de redescendre avec lui en partant, il se dirigea vers la chambre où s’était cachée la jeune femme. Il frappa sur la porte doucement, presque timidement, et la poussa du bout des doigts avant de l’entendre lui répondre. Il s’appuya contre l’encadrement de la porte pour regarder à l’intérieur, souriant en croisant le regard de la jeune femme. “J’ai terminé.” lui annonça-t-il en désignant derrière lui d’un signe du pouce. Son regard se posa finalement sur ce à quoi elle était occupée et il fronça les sourcils avant d’y penser. “C’est ça, votre macramé ?” demanda-t-il distraitement. Ça lui semblait assez évident, même s’il n’était pas vraiment un expert dans le domaine, loin de là. “Qu’est-ce que vous êtes en train de fabriquer ?” s'intéressa-t-il en croisant les bras sur sa poitrine. “Je savais pas que c’était de nouveau à la mode, ce genre de truc.” souffla-t-il dans un sourire, observant le tissage avec attention. Il ne se souvenait pas d’avoir déjà vu quelqu’un faire du macramé en vrai. Cette fille était définitivement pleine de surprise et lui… Il commençait à prendre un peu trop ses aises, peut-être, car il n’avait plus aucune bonne raison de s’éterniser ici et pourtant, il ne donnait pas l’impression de vouloir partir pour le moment.

Quelques secondes, Declan laissa son regard concentré passer sur le tissage en essayant de comprendre réellement, alors que malgré ses questions la jeune femme restait très discrète. Il ne comprendrait probablement jamais, hélas, devina-t-il très vite. Car peu importe combien de temps il pourrait passer à observer les fils entremêlés, ça ne faisait aucun sens pour lui. Mais sans doute était-ce très joli, si l’on aimait le style rose et rétro. De toute évidence, Declan n’était pas parmi ces gens, il n’était même pas parmi les gens mettant un peu de soin à leur apparence, ça se voyait en un seul regard. Il n’insista donc pas plus longtemps, ne posa pas d’autres questions, presque étonné de s’être penché sur le sujet en premier lieu. Ça non plus, ça ne lui ressemblait vraiment pas. Mais il y avait quelque chose chez cette fille… Peut-être simplement qu’ils semblent venir de deux mondes complètement différents et qu’il ait toujours été un peu curieux de ce qu’il ne connaissait pas. Elle était plutôt jolie aussi, ça ne gâchait rien.

Il la suivit docilement jusqu’au salon, son sourire se faisant plus large quand elle observa le fruit de son travail et le remercia, soulignant qu’il avait finalement bien fait de s’introduire chez elle sans son accord. Un petit rire lui échappa brièvement, à peine un souffle qui mourut aussi vite qu’il était né. “J’vais quand même essayer de m’abstenir à l’avenir.” répondit-il avec humour. Il envisageait pourtant sérieusement de ne plus jamais accepter un chantier si la commande venait du propriétaire de cet immeuble, toujours un peu agacé et exaspéré que ce type se permette tant de liberté sans la moindre considération pour ses locataires. Il mesurait parfaitement sa chance que la jeune femme se soit montrée aussi compréhensive, les choses auraient pu très mal finir si elle avait été plus dure avec lui… Enfin qu’importe, tout s’était bien passé et maintenant, Declan avait terminé son travail et il se retrouva brusquement planté au milieu de ce salon avec plus aucune excuse pour s’éterniser. La tension remonta d’un seul coup quand il le réalisa, menaçant de créer un véritable malaise. Comme pour y échapper, il se redressa rapidement, se tenant bien droit au milieu de la pièce et cacha ses lèvres de son poing le temps de se racler la gorge. “Cela dit…” souffla-t-il quand sa main retomba dans le vide. Bien avant qu’il ait commencé à parler, il avait l’étrange certitude qu’il commettait une erreur, mais n’arrivait pas à s’en empêcher pour autant. “Je peux revenir si vous m’y invitez.” Son cerveau visiblement fatigué eut besoin d’au moins deux longues secondes de malaise avant de réaliser que cette déclaration pouvait contenir autant de sous-entendus qu’elle pouvait sembler totalement incongrue. “Je veux dire, pour des travaux… s’il y a de nouveau un problème avec les fenêtres ou autre chose.”

Il tenta un sourire, pas si difficile à forcer sur ses lèvres, honnête. “Je peux vous laisser mon numéro et vous n’aurez qu’à m’appeler si vous avez besoin d’aide avec tout ça.” Il avait presque la certitude que ça ne se produirait jamais. Ils venaient réellement de deux mondes différents, probablement plus qu’il ne l’imaginait, mais il n’aurait pas été tout à fait lui-même s’il ne le proposait pas quand même. “J’peux même envisager de me faire payer en nourriture, l’idée me plait bien.” plaisanta-t-il finalement. “Pas sûr que je posterais les photos sur Instagram, mais c’est un bon début.” Il s’arrêta là sur les blagues, pas forcément convaincu qu’elles soient aussi amusantes qu’il l’espérait.

Pour le bien de tous et surtout le sien, Declan essaya de rester concentré sur une offre parfaitement innocente et appropriée. Lucy ne l’aidait pas beaucoup à aller dans ce sens. Il la trouvait adorable, beaucoup trop pour une inconnue qu’il n’avait rencontré par accident que quelques heures plus tôt. Et il était presque sûr qu’il ne la reverrait jamais non plus, quand bien même il proposait de lui prêter main forte si un autre problème se présentait dans son appartement. Il fut presque étonné qu’elle lui tende malgré tout son portable, acceptant visiblement la proposition. Il récupéra l’appareil et entra son numéro aussi vite que possible - il n’était vraiment pas doué avec ces fichus appareils et fut obligé de s’y reprendre à plusieurs fois pour taper les bons chiffres sans que ses doigts n’appuient ailleurs en même temps. “Et voilà !” se félicita-t-il après une éternité pour une personne normale, alors qu’il lui rendait son téléphone avec un grand sourire. Il ne lui demanda même pas de lui rendre la politesse, vraiment persuadé que malgré la tension palpable, elle n’avait accepté que par politesse. Il préférait aussi ne pas avoir son numéro pour les mêmes raisons : ce serait à elle de choisir quand et même si elle voulait réellement le revoir, plutôt que de se sentir obligée de lui dire oui ou de trouver des manières inventives de l’envoyer promener gentiment.

Il commença à ramasser ses affaires alors qu’elle le remerciait encore une fois et promettait de tout faire pour le payer en nourriture s’il devait revenir travailler ici. “Ne me remerciez pas,” repoussa-t-il gentiment, “je n’ai fait que mon travail. Et je serais payé en plus d’avoir eu droit à un repas gratuit et votre charmante compagnie.” Il regretta d’avoir dit ça presque aussitôt que les mots lui eurent échapper. Il passait trop de temps à se concentrer sur son travail, ne savait définitivement plus comment parler à une femme sans avoir l’air d’un crétin. Ça n’était peut-être pas plus mal qu’il soit persuadé à ce point qu’en sortant d’ici, il ne reverrait plus jamais celle-ci…

“Bon, eh bien… J’vous laisse tranquille.” lâcha-t-il finalement, s’approchant de la porte avec ses bras encombrés d’outils. “Passez une bonne journée et comptez sur moi pour faire payer des charges en plus à votre loueur pour ce qu’il a fait.” Il lui fit un clin d’oeil à son tour et lui tourna le dos pour de bon, afin de se débattre quelques secondes avec la poignée pour ouvrir la porte d’entrée. Il n’avait pas d’autre chantier pour le reste de la journée, mais avait déjà perdu assez de temps à discuter et manger avec Lucy et ne s’attarda donc pas très longtemps au bas de l’immeuble, disparaissant dans la circulation à peine eut-il déposé tout son matériel à l’intérieur de la camionnette.