Ask for a whisky shot, drink it, then repeat (Garrett)

Évidemment j’avais agi sans l’accord des gestionnaires de l’hôtel mais vu l’urgence de la situation je m’étais dit qu’il ne fallait pas perdre de temps puis de toute façon j’étais persuadé qu’au final c’est ce que les gestionnaires de l’hôtel auraient tout de même décidé de faire. Je n’ai donc fait qu’accélérer la prise de décision puis si j’avais laissé la situation de cet homme, déjà plus que précaire, s’aggraver la situation aurait pu s’avérer encore plus problématique.

Installé au bar, verre de whisky sous le nez, je fixais le vide comme si je désirais ne plus trop penser à quoi que ce soit … il faut dire que ces derniers temps tout n’était pas au beau fixe dans ma tête bien que je me gardasse de le laisser transparaitre. Heureusement que j’avais mon travail, afin de préserver un semblant d’équilibre mental, parce si ce n’était pas le cas je crois qu’il y a un bon moment que j’aurais pété un plomb.

Mon verre tournant entre mes doigts j’entendis quelqu’un m’adresser la parole et instinctivement je me tournai afin de me retrouver face à mon interlocuteur. C’était plus poli après tout. Me retrouvant devant ce dernier je cru comprendre qu’il était, au minimum, légèrement remonté il faut dire que son regard pour le moins crispé ne pouvait pas mentir quoi que je pusse être également dans l’erreur. Après tout il est difficile de bien cerner les gens. Effectivement c’est moi. Je l’écoutai se présenter et je compris un peu plus son agitation, il est vrai qu’un tel scandale aurait pu leur causer un tort énorme si la crise n’avait pas été jugulée. Enchanté Monsieur Carpenter. C’est un joli établissement que vous avez. Je m’appelle Warren F. Cunningham, je suis urgentiste au Mount Sinai. Je tentais de le jauger c’est pourquoi je m’étais permis de le regarder quelques secondes puis je pris mon verre afin de le vider. Lorsque j’ai vu le mec s’écrouler ainsi que l’absence de réaction du personnel, probablement un manque de formation, je me suis permis d’agir puisque tout se joue en moins de 30 secondes dans le cas d’une réaction allergiques. Je pris un moment pour réfléchir histoire de ne pas non plus dire un truc qui pourrait se retourner contre moi. Évidemment c’est vous le patron mais je suis d’avis que ce serait une bonne chose d’investir dans un stylo injecteur, contre les différentes allergies, et de bien former le personnel dans son utilisation … après tout il n’y aura pas toujours un médecin installé au bar. Bien que j’avais tourné le tout en plaisanterie ma recommandation n’en demeurait pas moins des plus pertinentes.

Évidemment la décision qu’avait prise cette personne de commander des fruits de mer, alors qu’elle se savait allergique, était des plus discutables d’autant plus qu’elle n’avait pas avec elle sa dose de médicaments anti-allergènes. Plus qu’irrationnel c’était totalement irresponsable mais malgré tout je lui étais venu en aide puisqu’il en était de mon devoir tant comme médecin qu’en tant qu’être humain. Je souris en entendant les mots que m’adressaient le patron de l’établissement mais je dois avouer que la lecture que je faisais des événements était quelque peu différente. C’est gentil de me dire ça mais je n’ai rien fait d’exceptionnel, nous devons tous assistance à une personne en danger. Je m’en serais éternellement voulu de n’avoir rien fait pour lui sauver la vie malgré le fait qu’il l’ait mise sciemment en danger. D’ailleurs à cet effet je me proposais de passer le voir le lendemain afin de lui demander ce qui pouvait bien lui avoir passé par la tête pour avoir pris une telle décision pour le moins insensée.

Échangeant une poignée de main toute aussi franche et sincère que virile et masculine je souris à ce monsieur Carpenter en écoutant avec attention chacun des mots qu’il venait de m’adresser. Merci c’est très généreux de votre part. En fait je crois que les mesures à mettre en place sont plutôt simples, il suffit de posséder quelques stylos injecteurs tel que ceux de la marque ‘’Epipen’’ et de former votre personnel sur leur utilisation mais c’est votre établissement, et surtout votre argent, alors libre à vous de la dépenser à votre guise. La requête que m’avait formulée l’homme était des plus normale et puis de toute façon je dois admettre que je ne voyais pas trop la pertinence d’ébruiter ce genre de choses, du moins je n’avais de temps à perdre avec ce genre de futilité. Soyez sans la moindre crainte à cet effet, à tout le moins en ce qui me concerne, néanmoins vu le nombre de personnes présentes – et qui ont assistés à la scène – je ne peux pas me porter garant de leur silence. Plusieurs étaient munis de téléphones portables, je crois qu’il serait vigilant d’effectuer une tournée des réseaux sociaux afin de limiter les dégâts. Après tout s’il y a des risques de dérapages tant qu’à la bonne réputation de votre établissement je crois qu’ils pourraient venir de ce côté. Je pouvais comprendre la détresse et le désarroi de cet homme, je lui remis donc ma carte professionnelle avec mes coordonnées afin qu'il puisse me rejoindre au MountSinai. Appelez moi demain et je tenterai de vous donner des nouvelles de ce malheureux et pour ma part je compte bien le sermonner et lui faire comprendre que tout ce qui lui est arrivé est de sa faute. J’étais de ces médecins qui n’hésitaient pas à responsabiliser ses patients tant qu’à leur état et dans le cas qui nous intéresse je comptais bien en profiter.

Dans le cadre de nos métiers respectifs il y a de ces gestes que l’on exécute si souvent qu’ils finissent par devenir ni plus ni moins que des automatismes et c’est exactement ce qui me permis de me porter au secours de ce malheureux sans trop réfléchir à ce que je pouvais poser comme geste. Cela m’avait paru comme étant une évidence tout simplement. Lorsque Garrett me remercia, et me félicita, je dois admettre que je me sentais quelque peu mal à l’aise car je n’avais pas l’impression d’avoir posé un geste qui méritait une reconnaissance quasi héroïque. Merci c’est gentil mais, entre vous et moi, il s’agit d’un geste que l’on répète tellement souvent dans mon métier qu’il en devient banal, tout au plus un réflexe dicté par certains automatismes. Je comparerais ça au ménage d’une chambre, pour ma part je suis nul pour le faire alors que je serais prêt à parier que les gens que vous embauchez pour le faire au sein de votre hôtel sont passés maître dans ce domaine. Une question de répétition et d’automatisme. Bien entendu la comparaison était boiteuse, la difficulté accompagnant une crise aigüe d’allergie ne pouvait pas se comparer à la difficulté que pouvait être le ménage d’une chambre mais j’étais persuadé qu’il comprenait l’idée.

Bien que je me fusse permis de lui recommander de se procurer quelques stylos injecteurs rien ne portait à croire qu’il se rangerait à mes arguments, je fus agréablement surpris qu’il voit la chose sous le même angle que moi. L’hôpital peut être une solution tout comme vous pourriez vous tourner vers votre pharmacien habituel, je présume qu’il pourrait même effectuer une commande spéciale auprès de son fournisseur attitré. Pour ma part j’aurais fait affaire avec le pharmacien ne serait-ce que pour le caractère discret de la transaction. Lui ayant par la suite recommandé de vérifier ce qui pouvait se passer sur les réseaux sociaux, à propos de l’image de son établissement, je lui souris en le regardant prendre place. S’il est allergique au gluten ainsi qu’aux arachides et que les crevettes ont été en contact avec de la farine et des noix je crois bien qu’il risque fort d’y passer. Évidemment je plaisantais puis je me mis à rire avant de reprendre mon sérieux. Je plaisante vous en faites pas, son état était stable dans l’ambulance je l’ai envoyé au Mount Sinai par mesure de précaution. Bien entendu prenez place. Il venait de m’offrir mes consommations de la soirée j’aurais été plus que malvenu de lui refuser cette requête.

Ce que venait d’affirmer Garrett avait beaucoup de sens, j’en convenais aisément, ces paroles se voulaient empreintes de sagesse et de logique. Bien que les métiers ne se comparent pas toujours j’en conviens avec vous, ils viennent tous avec certains impératifs qui par moment nous collent à la peau plus que l’on aimerait. C’est probablement la déformation professionnelle qui se manifeste. Regardant l’homme s’emparer de son téléphone et laisser ses doigts glisser sur l’écran je souris lorsqu’il me remercia des quelques conseils que je venais de lui prodiguer. Mais de rien puis ne dit-on pas que la prévenance est la mère de toutes les vertus ? C’est simplement malheureux que l’on doive attendre de frôler la catastrophe pour adopter certaines mesures. Prenez par exemple la salle de sport du NYPD, ils ont attendu que l’on de leur employé soit foudroyé par un infarctus pour décider de faire l’acquisition d’un électro cardiogramme. C’est dans la nature de l’homme d’attendre de heurter un mur avant de réagir, nous sommes ainsi faits.

Le langage non verbal de Garrett était très révélateur, ma plaisanterie lui avait flanqué la frousse du moins pendant quelques secondes. Heureusement mais bon avec un médecin à vos côtés disons que vous ne risquiez pas grand-chose de toute façon. Je me disais qu’il devait s’y connaître en whisky puis un homme de son rang ne devait probablement pas boire de ces trucs bas de gamme que l’on retrouve dans les bars miteux alors je n’avais pu que sourire lorsqu’il me demanda si j’en désirais un. Je dois admettre que je suis fortement tenté alors je vais succomber à la tentation mon cher.

Je n’avais pu que lui adresser un léger sourire lorsqu’il finit par commander nos boissons pour ensuite enchaîner en vantant cette façon que j’avais de voir les choses. Pour ma part je n’y voyais rien d’exceptionnel puisqu’elle était mienne depuis de longues années néanmoins je n’avais pas été sans apprécier cette touche d’appréciation de sa part. Je suis simplement conscient que notre nature humaine nous pousse à réagir de manière intempestive et irrationnelle, peu importe la fonction qu’elle occupe, prend une décision qui nous déplait. Prenant une légère pose je lui désigne le président d’un club sportif professionnel se trouvant à l’une des tables près de nous. Prenez cet homme lorsqu’il a décidé de ne pas retenir les services de l’athlète qui était le visage de son équipe depuis plus de dix ans les gens ont hurlé, menacés d’annuler leurs abonnements, mais ils n’avaient pas la moindre idée des renseignements dont disposait cet homme au moment de sa prise de décision. Ils le soumettent à une pression qui les rendraient totalement fous s’ils étaient à sa place. Je pris une légère pose avant de reprendre. Je crois que toute personne occupant un poste nécessitant une prise de décision, entraînant des répercussions majeures, se retrouve à subir ce genre de pression et parfois la décision doit se prendre rapidement … une question de seconde. Les gens se permettent de critiquer mais ils ne savent même pas de quoi ils parlent. Je ris un bon coup lorsqu’il surenchéri en me disant qu’il pourrait me prendre au mot et retenir mes services à temps pleins. Alors faudra briser mon contrat avec l’hôpital, valide pour encore 5 ans, je crois que cela risquerait de vous coûter une somme plutôt conséquente vu mon traitement salarial annuel. Bien entendu je plaisantais sur la forme bien que je disse vrai sur le fond. Je suis né à Los Angeles mais j’ai tellement erré de ville en ville, de pays en pays, que je crois qu’au fil du temps j’ai fini par perdre mon identité à ce sujet. Et vous ?

Me montrant attentif aux propos de l’homme j’appréciais cette marque de confiance qu’il me témoignait en me confiant cette petite tranche de vie ayant ponctuée son existence alors que nous ne nous connaissions que très peu. Rien ne l’y obligeait après tout, cette marque de confiance à mon égard ne pouvait que me toucher d’autant plus. Je n’ai pas trop entendu parler de ce genre d’histoire, il faut dire que les nouvelles du pays se sont faites rares lors de ces 5 longues et interminables années que j’ai passé en Syrie. Évidemment je m’étais fait avare de détails je ne voulais pas non plus attirer l’attention sur ce que je désirais plus que tout laisser loin derrière moi. Je souris lorsqu’il fit mine de vouloir se montrer persistant. Nul ne sait de ce dont demain sera fait après tout. Évidemment il serait stupide de ma part de me la jouer bornée et de m’opposer à l’idée après tout qui sait ce que le futur me réserve ? Discutant ensuite de nos origines j’appris qu’il était également originaire de Californie. C’est une sacrée coïncidence j’en conviens. J’hésitai quelque peu à me lancer puis je finis par le faire. Et bien j’ai habité Los Angeles jusqu’à l’âge de 15 ans puis, après un éclatement familial, j’ai préféré aller étudier en Europe que de devoir rester avec mon père. D’une certaine façon nous sommes devenus des étrangers l’un pour l’autre. Je crois que ça doit faire au bas mot dix ans que l’on ne s’est pas vu. Je réalisais que je lui racontais ma vie alors qu’il ne devait probablement rien en avoir à cirer. Je suis désolé je ne devrais pas vous embêter avec ce genre d’histoire. Toutes les familles ont leur dose de tragédie après tout.